17/04/2002 3

Les femmes en physique

Conférence organisée par

l'Union Internationale de Physique Pure et Appliquée (IUPAP)

Maison de l'UNESCO, Paris, 7-9 mars 2002


En 1999, l'IUPAP a mis en place un groupe de travail sur " les femmes en physique ". En effet, bien que la situation diffère d'un pays à l'autre, on observe universellement une sous représentation des femmes en physique et dans les métiers d'ingénieurs, et qui s'accentue à chaque étape de l'avancement de carrière.

L'IUPAP, convaincue de la gravité de cette situation qui risque d'avoir de lourdes conséquences pour l'avenir car le développement d'un pays dépend de plus en plus de son potentiel scientifique, a lancé plusieurs actions : une étude internationale de référence sur les femmes en physique, et la conférence qui vient de se tenir à la Maison de l'UNESCO à Paris. L'ensemble de ces travaux sera publié par l'American Physical Society.

La conférence a rassemblé plus de 300 personnes, dont environ 15% d'hommes, venues de 65 pays, en majorité issues des universités, de la recherche publique et du domaine de la physique pure. Les équipes nationales étaient composées de 5 personnes au maximum. La délégation française, conduit par Claudine Hermann, représentante française dans le groupe Femmes et Sciences de la Direction Générale Recherche de l'Union Européenne, comprenait aussi Etienne Guyon, président de la Société Française de Physique, Martine Lumbreras, professeure d'université à Metz, Anne Renault, chargée de recherche au CNRS à Rennes, et Monique Schwob, professeure de lycée à Metz, représentant l'Union des Physiciens. Chaque délégation avait préparé plusieurs documents : un rapport en deux pages sur la situation de son pays, un ensemble de données statistiques sexuées et une affiche résumant ces informations, qui a été exposée pendant la conférence.

Pour ce qui est de l'enquête statistique, il apparaît entre autres qu'au niveau des PhD de physique, les pays dans lesquels les pourcentages de femmes sont les plus élevés (ils atteignent environ 20%) sont la Pologne, la France, l'Australie et l'Inde. Les taux de femmes les plus bas sont ceux de l'Allemagne et des Pays Bas (9%), de la Corée du Sud et du Japon (8%).

Par ailleurs une enquête avait été diffusée par voie électronique, à laquelle des physiciennes de plus de 50 pays ont répondu (entre 20 et 40 réponses dans les pays à fort potentiel scientifique). En dépit de très grandes différences culturelles, on observe partout l'importance de l'encouragement des parents et de celui des enseignants du secondaire sur le choix de la physique par les filles, le rôle des professeurs des universités et du patron de thèse, l'effet bénéfique des occasions de travail à l'étranger.

Si 57% des femmes qui ont répondu avaient déjà donné une conférence invitée, seulement 15% avaient été membres d'un comité éditorial. Les physiciennes des pays développées se marient plus tardivement que celles des pays en voie de développement (32% de celles des pays développés étaient célibataires pour 19% de celles des pays en voie de développement). La France fait partie des pays où pour plus de 30% des physiciennes le mariage n'a pas affecté le travail. Au contraire, plus de 50% des physiciennes ont répondu que le mariage l'avait affecté en Egypte, aux Etats Unis, en Russie... Parmi les physiciennes de plus de 45ans, 1/3 de celles des pays développés n'avaient pas d'enfant, pour 1/10 de celles des pays en voie de développement.

Les barrières principales citées par les physiciennes au développement de leur carrière sont l'articulation entre la vie familiale et de la vie professionnelle et les attitudes discriminatoires, qui s'expriment habituellement sous la forme de l'affirmation que " les femmes ne sont pas capables de faire de la physique ". Les 2/3 des femmes répondent qu'elles referaient le choix de la physique, ce qui est encourageant !

La conférence a été ouverte le 7 mars par Messieurs W. Erdelen, directeur général adjoint de l'UNESCO pour les sciences naturelles, Philippe Busquin, commissaire européen pour la recherche et Burton Richter, actuel président de l'IUPAP. Madame Elisabeth Giacobino, directrice du département Sciences Physiques et Mathématiques du CNRS, qui a présidé une session, a exprimé tout l'intérêt des institutions françaises pour la problématique des femmes en sciences et plus particulièrement en physique. Parmi les nombreux sponsors de la conférence, on compte du côté français le ministère de la recherche et le CNRS. L'organisation a été assurée par le groupe de travail présidé par Marcia Barbosa du Brésil en collaboration avec Judy Franz (Etats Unis), Secrétaire Générale de l'IUPAP. L'organisation locale a été prise en charge par Marcelle Rey-Campagnolle, avec l'aide de Violette Brisson, Madeleine Gandais, Claudine Hermann, Annick Suzor-Weiner et René Turlay.

Le programme comportait des conférences plénières et des ateliers sur 6 thèmes :

- inciter les filles à étudier la physique,

- se lancer dans une belle carrière en physique,

- améliorer les structures et l'ambiance professionnelles pour les femmes,

- articuler vie familiale et professionnelle,

- amener les femmes aux postes de décision,

- apprendre des différences entre pays : pour cet atelier une enquête détaillée avait été renseignée par les pays européens.

Chaque atelier était scindé en groupes d'une vingtaine de personnes, pour permettre une prise de parole de tous. Les différences culturelles sont apparues dans les discussions, la situation des physiciennes étant le reflet direct de celle, dans les différents pays, des femmes ayant suivi des études supérieures et de la possibilité éventuelle de garde d'enfants. Outre l'intérêt intellectuel, ces discussions ont pu mettre en avant l'organisation de la discipline, les conditions sociales et économiques, l'avancée de la réflexion sur la question de la place des femmes en physique et les pratiques les meilleures selon les pays.

Les conférences plénières ont, pour les deux premières, présenté les actions au niveau de la Direction Générale Recherche de l'Union Européenne : revue des politiques nationales (T. Rees, G.B.), présentation du rapport européen Femmes et Sciences (C. Hermann). Les suivantes ont permis de prendre connaissance de la situation dans différents pays (Chine, Egypte, Brésil, Japon, Russie, France, Inde, USA), le plus souvent à travers le témoignage de physiciennes à la personnalité et à la carrière exceptionnelles (par exemple C. Cesarsky, Directrice Générale de l'Observatoire Austral Européen, a exposé son parcours). Notons la remarquable enquête faite par la Société de physique japonaise et la Société japonaise de physique appliquée parmi un nombre important de leurs membres et qui est une première. Elle met en évidence, entre autres, que les femmes accèdent au rang de professeures d'université 10 ans après leurs collègues masculins et ont une productivité plus forte que les hommes lorsqu'elles ont fini d'élever leurs enfants. N. Hopkins, une des intéressées, a exposé l'" affaire du MIT ", où il a été prouvé que les femmes professeurs disposaient de locaux plus exigus et étaient moins payées que leurs collègues (il y a eu rattrapages et compensations depuis).

De cette rencontre très riche, plusieurs points émergent : pour beaucoup de jeunes physiciennes, en particulier des pays en voie de développement, c'était la première conférence internationale à laquelle elles assistaient, d'où bien des chocs culturels mais aussi la possibilité de nouer des contacts scientifiques (particulièrement vitaux pour les pays du Sud). Les messages émis par les seniors visaient tous à faire partager leur passion pour leur métier. Les participantes ont été enthousiasmées par cette rencontre (les participants semblaient satisfaits, en particulier du caractère professionnel et ouvert des débats) et un réseau devrait se constituer pour maintenir les contacts et suivre l'évolution de la place des femmes dans la discipline.

La conférence a adopté un certain nombre de résolutions que chaque équipe pourra traduire en intégrant ses particularités culturelles nationales. Ces résolutions sont destinées aux établissements d'enseignement primaires, secondaires, aux universités, aux instituts de recherche, laboratoires industriels, aux sociétés savantes, aux gouvernements, aux organismes de financement de la recherche et à l'organisateur de la conférence, l'IUPAP. Elles soulignent l'importance de

- donner aux filles et aux garçons les mêmes chances et les mêmes encouragements pour étudier la physique ; les encouragements des parents et des enseignants renforcent la confiance en elles des filles,

- s'assurer que les étudiantes et les étudiants ont les mêmes chances de réussite,

- promouvoir l'égalité dans les politiques et les pratiques, en établissant des procédures transparentes et équitables pour le recrutement et la promotion des physiciens comme pour le financement des projets de recherche,

- permettre le succès des femmes dans leur carrière en créant un environnement favorable aux familles (garde d'enfants, horaires souples, possibilité d'emplois pour des couples dont les deux membres travaillent),

- placer des femmes dans les structures de décision des universités et des institutions de recherche, et particulièrement dans les comités qui déterminent les politiques, locales comme nationales,

- ne distribuer les financements gouvernementaux qu'aux organismes et institutions qui incluent l'égalité entre les femmes et les hommes dans leur politique,

- recueillir, conserver et publier des statistiques ventilées par sexe,

- obtenir que les sociétés scientifiques se fixent l'objectif d'accroître le nombre de physiciennes et leur réussite (par la collecte de données statistiques, l'identification de femmes modèles et la publicité autour d'elles, l'introduction de femmes dans les comités et les conseils éditoriaux).

Le Groupe de travail demandera à l'IUPAP d'approuver ces Résolutions lors de son Assemblée Générale en Octobre et de soutenir leur mise en oeuvre. Dans son rôle d'organisation internationale des physiciens, l'IUPAP doit s'assurer que ses propres actions et procédures contribuent à accroître le nombre et la réussite des physiciennes.

Claudine Hermann (présidente de l'association Femmes et Sciences)

et Marcelle Rey-Campagnolle (coordinatrice "Femmes" d'Euroscience)